Lathuille Lionel

Mon travail artistique est multiforme, il investit l’écriture (poésie, nouvelles…) et les arts plastiques. Le dessin et la peinture se situent au coeur de ma pratique des arts plastiques, mais s’y ajoutent la photographie, la gravure, l’installation…
Le plus souvent lorsque je pratique la performance, c’est une dimension qui me permet de relier mes pratiques plasticiennes à celle de l’écriture
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Comment montrer « quelque chose à dire » là où, a priori, dans une exposition, on donne plutôt à voir ? Souvent j’avance dans la pratique en aveugle, comptant sur l’effort dans le travail pour progressivement parvenir à voir plus clair dans ce que je cherche. Un peu comme si c’était de l’effort de la marche que pouvait apparaître le paysage. Il ne suffit pas de voir pour savoir ce qu’on voit, c’est pour ça que le dessin, la peinture, la photographie et bien d’autres pratiques sont des quêtes. Tout comme il ne suffit pas de parler pour savoir ce qu’on a à dire, encore faut-il écouter le mouvement qu’opèrent les mots comme une force intime autant qu’elle peut être étrange et étrangère. C’est cette dimension inconnue qui motive l’expérience de voir et de dire. Il y a bien une part de mon travail de dessin-peinture dans laquelle ce qu’on appelle le motif joue un rôle, dans un cycle notamment que je mène depuis plusieurs années et qui s’intitule « Les écritures, la forêt », où le paysage est le lieu du regard et une présence à interroger. Mais dans l’installation picturale que je présente à Arts Poncin, ce serait peut-être l’approche inverse : faire et faire encore pour arriver à voir, à voir ce qui surgit, ce qui se forme comme un propos à l’œuvre, et voir ainsi petit à petit ce qu’on peut avoir à dire !

Pour répondre à la proposition « Quelque chose à dire » d’Arts Poncin 2025, je me suis d’abord appuyé sur le livre de poésie « Ici commence » que j’ai publié cette année aux éditions La Rumeur Libre – ouvrage qui est précisément traversé d’un bout à l’autre par l’enjeu, le désir, la difficulté et l’émotion de dire. Lorsque la maquette du livre a été établie avec l’éditeur, j’ai conçu 11 visuels (comme les onze lettres du titre « ici commence »). Ces visuels s’intègrent dans le livre un peu à la manière de stations, sans chercher à illustrer littéralement le texte, et l’ensemble constitue une installation avec laquelle on perçoit mieux les trajectoires, les passages, les rebonds visuels, les rimes formelles… Chaque visuel a été réalisé avec du graphite, de la pierre noire, de l’encre et de la peinture sur un cyanotype sur papier. Dans l’idée de relier le dehors et le dedans, c’était stimulant de travailler sur ces chutes de cyanotype en faisant se rencontrer les empreintes, si caractéristiques de cette technique rattachée à l’histoire de la photographie, pareilles à des éclats de lumière sur fond bleu, et des visions intérieures provoquées par le texte. Les onze visuels agissent entre eux, avec les figures et les objets qui apparaissent, à la manière de tableaux d’un théâtre onirique. Des contraintes d’édition attenantes à la collection dans laquelle est paru le livre, nous ont amené à convertir en noir et blanc ces visuels pour la publication. C’est donc la première fois, à Poncin, que l’installation des œuvres originales est montrée au public.

En regard de ces onze visuels, l’intention est d’essayer de procurer une présence plastique au texte lui-même dans l’espace d’exposition. Plusieurs phrases ou formules du livre auraient pu donner matière pour explorer l’enjeu de dire, c’est finalement le texte situé en page 97 qui s’est imposé avec ce mots : « Dire / est un feu qui prépare le jour / et l’arrivée d’une nuit sans fond (…) Quand (…) nous regardons le passage des nuages / et les heures fondre dans nos yeux ». L’installation, d’un montage photographique et de sa reproduction sous forme d’affiches, que j’ai sommairement retravaillées au charbon et à la peinture, tente de spatialiser le texte, comme s’il avait déclenché un film expérimental dont le déroulement des images se serait figé sur la cimaise. On y verra aussi la mémoire du bleu en écho aux onze visuels. Et enfin, à l’instar d’affiches ou de pancartes que je manipulerai certainement lors de ma lecture-performance le 26 octobre, on trouvera dans l’espace d’installation des reproductions (qui sont toutes à vendre) des onze visuels, chacun accolé d’une légende inventée et rédigée pour l’exposition.

On l’aura sûrement perçu dans ce petit texte de présentation, la notion d’expérience est cruciale dans mon travail. Je ne sais pas à l’avance, j’avance justement pour mieux voir et savoir ce que je peux avoir à dire. L’équilibre est parfois précaire ou périlleux, mais c’est ce qui motive à continuer. Et dans cette ligne d’idée, pour conclure, je glisserai le petit texte qui se trouve page 48 de « ici commence » :

Il faut dire

Il faut dire qu’il faut dire

Il faut dire qu’il faut dire tant qu’on peut dire

Il faut dire que ça ne suffit pas de dire qu’il faut dire

pour savoir ce qu’on veut dire

Il faut dire qu’on a beau dire qu’il faut dire

ça ne veut pas dire qu’il y a quelqu’un pour écouter 

                                (Oser dire

                                  avec la trahison des mots

                                  avec ce qui échappe

             ce qui devrait être différent

   mais le dire

   pour ne pas rater

   ici)

30/09/2025 – Lionel Lathuille

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Screenshot

Lien vidéo lecture-preformance 2023: