Jean-Yves Amir

Paréidolies

On appelle “paréidolie” ce phénomène psychique qui consiste à voir une chose dans une autre : un animal dans la forme incertaine d’un rocher, un visage dans un nuage, une forme humaine dans un tronc d’arbre… Un exemple souvent cité est celui de Léonard de Vinci qui voyait des paysages de montagnes dans les taches, les mousses et les moisissures d’un mur (1).

Ce phénomène n’est pas seulement un jeu optique car il est fort possible qu’il soit à l’origine de l’invention de la représentation. En effet, des études ont montré qu’avant de dessiner des animaux sur les parois des grottes, les artistes paléolithiques ont “vu” leurs formes dans les reliefs ou les fissures de la roche, quelques tracés venant les compléter de manière à en fixer l’interprétation (voir par exemple le bison de la grotte de Bédeilhac). Ceci explique les positionnements souvent aléatoires des animaux qui répondraient davantage aux contraintes du support qu’à toute autre logique.

Le préhistorien M. W. Scardoveli en arrive ainsi à la conclusion que “selon de nombreux chercheurs ces paréidolies représentent l’emblème même de l’art préhistorique, et cela parce que ces figures incorporent en elles ce « dialogue » que les artistes instauraient avec les parois des cavernes, dialogue qui les portait à intégrer volontiers les formes naturelles dans leurs créations artistiques (S. E. Guthrie, 1995; Meschiari, 2009; Sauvet et Tosello, 1998).”(2)

En soulignant les ombres et les reliefs, en les animant légèrement, la lumière vacillante de la flamme augmentait ces illusions optiques. L’étude d’A. Needham portant sur les plaquettes  de Montastruc conservées au British Museum montre que celles-ci comportent des traces de chauffe et que le feu jouait probablement un rôle dans l’animation des dessins gravés : “la lumière et les ombres mouvantes, sont propices au déclenchement de réponses psychologiques visuelles et perceptives. Le système visuel est prédisposé à utiliser les ombres et l’éclairage pour comprendre la profondeur et les dimensions d’un objet ; le déplacement de la lumière sur une surface peut donc créer l’illusion qu’un objet se déplace en profondeur, même s’il est statique en taille et en position. La sensibilité aux formes préexistantes dans les plaquettes de Montastruc peut faire allusion au déclenchement d’une autre réponse psychologique : la paréidolie – la perception de formes reconnaissables dans des motifs aléatoires – qui peut être plus puissante dans des conditions de faible luminosité”(3).

Etrangement les galets et os gravés de la Colombière – comme le galet gravé du campement d’Etioles – ont tous été retrouvés à proximité de foyers. Quels rôles pouvaient alors jouer la lumière, la chaleur et la convivialité du feu?

A partir de moyens actuels – infographies, tirages sur supports vinyles, lampes led – j’ai cherché à traduire ces interrogations sur l’apparition incertaine et fugace des premières images.

Jean-Yves Amir, mai 2023

(1)  Léonard de Vinci: « Si vous regardez tous les murs tachetés de diverses taches ou avec un mélange de différents types de pierres, si vous êtes sur le point d’inventer une scène que vous serez en mesure de voir une ressemblance avec divers paysages différents ornés de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines, vallées larges et divers groupes de collines »

(2)  Etude sémiotique sur la latéralisation des figures animales dans l’art pariétal du Paléolithique en France; Mattéo Wladimiro Scardovelli; Université du Québec à Montréal, 2017

 (3)  Art by firelight? Using experimental and digital techniques to explore Magdalenian engraved plaquette use at Montastruc (France); Andy Needham ; Université de York; 2022.

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